Entretien conduit par Babacar DIONE
El Hadji Ndiaye est un homme au verbe fort, très peu diplomatique… Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, le patron de la 2Stv est comme il est. Tout simplement humain. Dans ce premier jet d’un long entretien, il nous replonge dans son intimité juvénile, remonte le fil des connexions qui l’ont amené là où il est actuellement. Joie, peines, regrets, ambitions manquées… Bref, El Hadj se livre. Dans le dernier jet que vous lirez demain, il revient sur ses débuts de relations joyeuses avec Youssou Ndour avant que le divorce ne survienne.
«Mon vrai nom est Elhadji Ibrahima Ndiaye. Je suis né à Matam le 22 mars 1951. Je suis entré à l’école en 1957 à Matam, mais j’ai eu le Baccalauréat à Saint Louis du Sénégal. J’ai fait le conservatoire, et j’ai été boursier de l’Unesco dans le cadre de la formation du personnel du Musée des civilisations noires. J’ai été envoyé par le Président Senghor à Neuchâtel en Suisse en 1978-79. Puis je suis rentré au Sénégal en 1981. Senghor m’a pris par la main et m’a présenté à Diouf qui venait de lui succéder à la tête du pays. Il lui a dit : «faites attention à ce jeune homme, il servira beaucoup dans la culture».
Senghor m’avait donné une bourse, parce que quand il fêtait ses 70 ans, et pour l’affiche de son film Sargal, il a choisi ma photo. Il était tellement fier et content de la photo qu’il m’a fait appeler avec le ministre de la Culture, Alioune Sène. Quand je suis arrivé il m’a demandé le prix d’une photo je lui ai dit 500 F Cfa. Quand il s’est retiré avec le ministre de la Culture, il lui a dit de me donner une bourse pour le compte du Musée des civilisations noires afin que je gère le laboratoire de la photographie du Musée. C’est comme ça que je suis parti avec mon épouse, Marième. Je vivais avec des musiciens et c’est ce qui explique qu’à mon retour j’ai monté un studio d’enregistrement, le Studio 2000. Mais c’était surtout pour moi l’occasion de régler le problème des arts et de la musique. J’ai créé le Studio 2000 pour enregistrer tous les musiciens du Sénégal et d’Afrique à l’image de Salif Keita, Alpha Blondy qui a d’ailleurs sorti un peu plus tard sa chanson Brigadier Sabari. Il a dormi chez moi plusieurs mois, je l’amenais manger du dibi à la dibiterie Alla Seck et il m’appelle Papa jusqu’à présent. C’est après que les autres sont venus : Koffi Olomidé, Salif Keita…
Ce qui me lie à Salif Keita
En ce moment c’était très difficile de faire de la musique. Et quand Salif a débarqué à Dakar, on me l’a présenté. Il est vrai qu’en ce moment, j’étais le maître du jeu de la musique. Il n’y avait pas de studio en Afrique. Salif était venu pour enregistrer, en plus j’avais la sonorisation. Même lors de l’inauguration de nos locaux, Salif Keita a été le premier musicien à jouer dans une de nos salles qui porte encore son nom.
Ce que je dois à mon père
Mon père est un paysan, un éleveur, cultivateur. Il a été chef de village pendant longtemps. Il a accueilli beaucoup de commerçants qui venaient pour acheter ou vendre, ou faire des transactions entre le sel et le mil. Tous les hommes politiques, de Lamine Gueye à Senghor, débarquaient chez nous quand ils venaient au Fouta. J’étais très jeune et je mettais les nattes quand Senghor venait dans le cadre de ses tournées.
En plus, j’ai grandi dans la grande famille de Elhadji Ibra Touré dont je porte le nom. Il était un grand commerçant, un grand éleveur de chevaux. Une grande personnalité de Matam. C’est là-bas que j’ai appris l’école française. Dans mon village, il n’y avait pas d’école (française) parce que des marabouts disaient que si tu prends la main de ton fils pour l’emmener à l’école française, cette même main va t’emmener en enfer.
Mon père qui était un marabout, un érudit, savait que tout cela ne reposait sur rien. Il a été toujours révolutionnaire, comme je le suis aujourd’hui. Il m’a appris à être téméraire dans la vie et à toujours dire la vérité quoiqu’il advienne. Il m’a appris à toujours être honnête et à ne jamais me laisser impressionner ou intimider par une personne ou par un groupe.
Relations particulières avec les marabouts
Lorsque j’étais à l’école coranique, j’allais mendier. C’était une façon de nous forger, de nous apprendre l’humilité. C’était loin d’être la pauvreté. On ne payait pas avec de l’argent, mais avec du mil. Mon père qui était un grand commerçant, stockait du riz, du mil, de l’huile.
Au lieu d’aller mendier, j’attendais 17h, quand tous les talibés étaient partis, pour voler dans le stock de mon père que je donnais à mon maître coranique. Juste pour ne pas aller mendier. Un jour, mon père revenant de la mosquée, m’a surpris avec des pots remplis de mil. Il m’a juste averti et m’a dit d’aller mendier comme les autres
Un autre jour, il m’a encore surpris avec cette fois-ci du sucre que j’ai caché sous le mil. Je lui ai dit que c’était mon maître coranique qui me l’avait demandé. Il a tenu à me conduire jusqu’à lui. On l’a trouvé avec son chapelet. Sans crier gare mon père lui a dit : «c’est toi qui lui apprends à voler ?». Et subitement : «pan, pan, pan, pan…» Mon père s’est mis à bastonner mon maître coranique. «Au lieu de lui apprendre le coran, tu lui apprends à voler !». Et il m’a sorti du «daara». Après m’avoir donné une bonne correction, il m’a dit : «en dehors de ce qu’il t’apprend du Livre Saint, ne crois pas à autre chose du marabout.
Mon homonyme, Elhadji Ibrahima Touré, m’a forgé. Chez lui, j’étais entre les boutiques et les magasins. Je dormais avec des personnes venues de différents pays dont des Maliens… A Matam, que ça soit au collège, au lycée ou ailleurs, j’ai connu des personnalités comme Thierno Mouhamadou Samassa, Zakaria Diaw, Abdourahmane Ndiaye, patron de la Sagam…
Témérité
J’étais à 25 kilomètres de mon village et je faisais tout ce qui était possible pour passer les fêtes chez moi. Le véhicule de transport en commun ne passait qu’une fois par semaine. Une veille de tabaski, j’ai pris le risque de marcher pendant 5 heures jusqu’à mon village. J’ai traversé le fleuve à la nage et j’ai pris la route. Je ne voyais ni n’entendais personne à part des hyènes. Je suis arrivé tôt le matin et mon père m’a aperçu. Ma mère était en train de faire la lessive au bord du fleuve. Mon père me dit : je t’avais interdit de venir. Je savais que tu étais en route et pourtant, personne ne m’a informé. Tu as eu la chance d’être sain et sauf».
Avant d’aller poursuivre mes études au lycée de Saint Louis. J’y ai connu Daouda Ndiaye, ancien Directeur général de la Rts, Harona Dia, Baba Maal, Baba Wone… Après avoir obtenu mon baccalauréat et qu’on m’a demandé pour mon orientation, j’ai mis : «tout sauf l’armée». On m’a amené au conservatoire.
J’ai acheté un appareil photo qui m’a permis, plus tard, de faire ma formation en Suisse. J’y ai appris la musique, précisément le son. A mon retour, j’ai mis sur pied le Studio 2000.
Mame Seydou Nourou Tall et moi
J’avais l’habitude d’amener la sauce de never die pour le dîner de Mame Seydou Nourou Tall (Thierno Seydou Nourou Tall). Un jour il m’a dit d’arrêter de fumer alors que j’avais pris toutes les dispositions pour qu’il ne sente pas l’odeur de la cigarette. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas. Il m’a menacé en me disant qu’il allait m’envoyer deux Djins, un homme et une femme qui vont me hanter et me surveiller durant toute ma vie. Je lui ai alors promis d’arrêter. Mais après quelques jours, je n’en pouvais plus. J’ai recommencé à fumer. Mame Seydou Nourou m’a alors ouvert la bouche et a dit quelques incantations.
Mon histoire avec la musique
Je n’avais jamais fait de la musique avant d’aller en Suisse. A Neuchâtel (Suisse) où j’apprenais à faire des photos. Il faisait très froid, entre -10 et -15°. J’étais obligé de rester dans la chambre pour fumer. Ma fille Salla, était née et souffrait beaucoup de la fumée et de l’odeur de la cigarette.
Quand sa mère l’a amenée voir le médecin, celui-ci m’a convoqué et m’a intimé l’ordre d’arrêter de fumer dans la chambre. J’étais donc obligé de fumer dehors alors qu’il neigeait. C’est ainsi que le gérant d’un studio, situé en bas de l’immeuble, m’a proposé d’utiliser leur fumoir.
J’étais devenu le photographe attitré de beaucoup de personnalités. En même temps, je commençais à apprendre de la musique, à faire du mixage de sons, le temps que je passais dans le studio. J’écoutais beaucoup de musique, notamment du reggae avec Bob Marley, Steel Pulse… finalement j’étais devenu ingénieur de son. Et quand ils sortaient, j’allais avec eux mixer la batterie.
Pourquoi Studio 2000
En face, il y avait un salon de coiffure qui s’appelait Studio 2000. J’ai eu le terrain dans l’avion alors que je rentrais au Sénégal. Ce jour-là, mon avion a accusé du retard parce que quelqu’un avait enregistré mon supplément bagages en son nom sans embarquer. C’était une responsable d’une compagnie aérienne qui voulait m’aider à cause du bébé que je tenais. On a voulu me faire payer une taxe quand Amadou Ciré Sall, en compagnie de son ministre Mamoudou Touré, qui se trouve être mon oncle, sont intervenus. Ce dernier a tenu à payer la taxe.
Je pensais monter un studio en m’inspirant de mon expérience en Europe. En fait, il n’y avait même pas encore de studio au Sénégal. Le seul qui existait, Golden Baobab, appartenait au fils du Président Senghor, Francis Senghor. J’ai monté studio et j’ai battu le record. Un journaliste, Cheikh Ba, avait titré dans le quotidien Le Soleil, «Enfin un studio d’enregistrement !». Un article qui fait suite à l’enregistrement de ‘’Djiggen Ndakarou Ndiaye’’ de Ismael Lô. Tout le monde a quitté Golden Baobab pour venir à Studio 2000. D’ailleurs, j’ai racheté la plupart du matériel.
Mes relations avec Baba Maal datent du lycée
Quand sa mère est décédée, je me suis occupé avec Mbassou Niang, de toutes les formalités avant que Baba Maal n’arrive. A son arrivée, il était tellement content et fier de nous qu’il ne savait pas quoi faire. C’est alors qu’il m’a proposé d’enregistrer son album ‘’Yéla’’ au Studio 2000. «Ibraaahimaaa, yelewooo… » (il se mit à chanter). Il a chanté Marième (son épouse), et Moïse Ambroise Gomis, qui vient de nous quitter, a fait le clip de la chanson.
Après le wandama, Baba Maal a monté son groupe, le Dandé Lenol, et a continué son chemin. Moi, je suis un industriel ; je ne pouvais rester dans un orchestre. Après c’est au tour de Oumar Pène, Ismael Lô… qui venaient tous dormir chez moi».
A SUIVRE