«La question de l’emploi des jeunes doit être précédée par celle de la préservation des emplois existants». C’est ce qu’a déclaré Aminata Touré, au lendemain du lancement du Programme d’urgence pour l’emploi des jeunes. Programme doté d’un budget d’«au moins 450 milliards». Et qui, dans les trois ans à venir, devrait créer environ 91 000 emplois. Pour le bonheur de la jeunesse. Mais les chiffres astronomiques ne semblent pas étonner l’ancienne présidente du Cese. Et comme pour tourner en dérision la «solution miracle» du régime, Aminata Touré dit : «Pour sortir d’un trou, il faut d’abord arrêter de creuser».

«Il faut déjà retrouver les emplois perdus»

Ce qu’il faut faire, selon Mimi, c’est «conserver les emplois existants et retrouver les emplois perdus dans les secteurs très touchés par la Covid-19 comme le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, qui sont des secteurs clé de notre économie». Et même si, sans doute par prudence, elle prend la précaution de qualifier de «Réflexion citoyenne» son post, il va sans dire que les idées qu’avance la dame tranchent d’avec la démarche de Macky Sall. En clair, si le chef de l’Etat estime qu’il faut procéder à une vaste opération de réorientation budgétaire pour créer des emplois massifs pour les jeunes qui étaient dans les rues, en mars 2021, Aminata Touré pense que le mieux serait de faire en sorte que les secteurs touchés par la covid-19 retrouvent leur situation d’antan. Ce qui leur permettrait, dira-t-elle, de «reprendre leur personnel en chômage technique prolongé». «Il est estimé que le secteur de la restauration a perdu 56 milliards de F Cfa, le secteur hôtelier a perdu 40 milliards, le transport aérien 34,3 milliards et le transport terrestre 24,3 milliards. Les premiers à souffrir de ces baisses de recettes, ce sont bien entendu les salariés. Car pas de recette, pas de moyen de payer de salaire. Donc, dans la stratégie de création d’emploi, il faut déjà retrouver les emplois perdus pour les jeunes et les moins jeunes», a-t-elle fait noter.

Une position qui n’est donc pas loin de celle défendue, jeudi 22 avril, par le Pr Ahmadou Aly Mbaye, économiste. Lors de son intervention au Conseil présidentiel, le Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) avait dit qu’au Sénégal, «il y a plus d’emplois à consolider que d’emplois à créer».

«Une économie performante produit des emplois décents»

L’urgence de la situation, Mimi ne semble pas la nier. D’ailleurs, dans sa «Réflexion», elle fait remarquer que cette importante frange de la population que constitue la jeunesse (plus de 70%) n’est pas disposée à attendre les résultats d’une transformation structurelle nécessaire de notre économie. Il faut donc, reconnait-elle, «des mesures d’urgence de création d’emploi». Et pour absorber le maximum de jeunes, elle cible, entre autres secteurs, la commande publique (plus de 1200 milliards), la généralisation du port des uniformes scolaires et, surtout, la création d’un Programme national de travaux d’utilité publique qui pourrait viser environ 500 000 jeunes dans les domaines de l’environnement, la maintenance des édifices publiques comme les écoles et hôpitaux, l’assainissement, etc. Et là, ce que dit Aminata Touré n’est pas loin de certains aspects développés dans le Programme d’urgence de Macky Sall. Programme dont les grandes lignes ont été présentées, jeudi, par le ministre de l’Economie Amadou Hott.

Il faut donc rappeler que le gouvernement table sur le recrutement de 65 000 jeunes sur l’ensemble du territoire national, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes, entre autres. Et tout devrait commencer dès le mois de mai prochain. En plus de cela, il y a un quota spécial réservé au recrutement de 5000  enseignants pour le préscolaire, le primaire, le moyen et le secondaire, y compris les Daaras modernes et l’enseignement arabe. A cela s’ajoutent les 15 000 emplois attendus du secteur privé dans le cadre de l’extension de la Convention Etat-Employeurs à la filière de l’agriculture et de l’agro business. Cela, sans compter les milliers d’emploi attendus dans l’auto-emploi, avec un important dispositif de financement et d’encadrement mis en place.

«Le consommer sénégalais doit être plus qu’un slogan»

Au-delà des mesures dictées par l’urgence, Aminata Touré pense qu’il faut procéder à une restructuration de l’économie sénégalaise qu’elle juge «extravertie». Ce qui représente, à son avis, «le meilleur gage de création d’emplois». Et pour ce faire, Mimi donne la recette. «Cette restructuration se fera autour du développement de notre tissu industriel», a-t-elle estimé. «Nous importons tous les objets que nous utilisons dans la vie courante, brosses  à dent, tissus, aiguilles, cuillères, chaussures  et autres objets dont la fabrication ne nécessite pas de grande technologie. Il nous faut absolument développer l’industrie légère et arrêter d’être des consommateurs des produits fabriqués chez les autres», a expliqué Aminata Touré. Et prenant l’exemple de l’arachide, elle fait constater que plus de 200 produits sont répertoriés comme produits dérivés, et qui pourraient profiter à une industrie légère. «L’aliment de bétail, les cordes, les produits cosmétiques et même l’électricité», a-t-elle listé, comme exemples.

Une autre position qui rejoint également celle du Pr Ahmadou Aly Mbaye. Le Recteur de l’Ucad a rangé, jeudi, «l’industrie légère» dans la catégorie des «secteurs qui peuvent générer des emplois». Le «consommer sénégalais» dont parle Macky Sall ? Mimi estime qu’il doit dépasser le stade de slogan pour devenir «une réalité». Ce qui, de son point de vue, ne se fera pas sans audace. «Pour produire ces centaines de milliers d’emplois pour cette jeunesse numériquement hégémonique, il faudra résolument prendre le taureau de notre industrialisation par les cornes», conclut-elle.