OUVERTURE DE LA RTS A L’OPPOSITION : La nouvelle politique de l’actuel Directeur général Pape Alé Niang passée à la loupe
Souvent indexée pour son manque d’ouverture à l’opposition, la RTS change de fusil d’épaule dans sa politique de diffusion. Sous la houlette de l’actuel Directeur général Pape Alé Niang, la direction a adopté une « nouvelle politique » consistant à s’ouvrir à toutes les obédiences.
Par Ousmane THIANE
La nomination de Pape Alé Niang en remplacement de Racine Talla a ouvert une nouvelle ère à la radiotélévision nationale (Rts). L’accès limité accordé à l’opposition semble devenir un vieux souvenir depuis son installation. Cette « rupture » résulte de la « nouvelle politique » incarnée par le nouveau patron, selon Mamadou Diagne, journaliste et responsable des supports digitaux de la RTS.
D’après lui, la chaine nationale s’est aujourd’hui engagée sur la voie du pluralisme. « C’est une nouvelle politique de la Direction parce que le Directeur général, Pape Alé Niang, depuis son arrivée, a insisté sur deux piliers forts qui sont liberté et responsabilité. Liberté dans la prise en charge des attentes de tous les sénégalais et de toutes les parties prenantes de cette société et là, on parle de pluralisme dans l’aspect politique, sociétal…
L’autre aspect important dans sa vision, c’est la responsabilité. Tout un chacun en tant que membre de ce service public a comme responsabilité de pouvoir avoir une mission de service public. Et quand on a cette mission, on a la responsabilité d’être équidistant et de donner la parole à tout le monde », confie-t-il.
En un mot comme en mille selon notre interlocuteur, « la liberté et la responsabilité résument la politique du Directeur général qui tient particulièrement à ce que les sénégalais de tous bords, de toutes confessions puissent avoir leur mot à dire au sein de la télévision nationale à travers ses différents supports ».
Mamadou Diagne, responsable des supports digitaux de la RTS : « Pape Alé essaie de marquer son empreinte dans l’audiovisuel public. Son appoint sera différent des autres »
Le choix de Pape Alé Niang de placer le pluralisme au cœur de sa stratégie sonne la rupture avec les traditions passées. En effet, le musèlement de l’opposition a été la tache noire sous le défunt régime de Macky Sall avec Racine Talla à la tête de la RTS.
« Chaque Directeur général a sa vision. Chaque personne a sa touche. Peut-être que le Directeur général Pape Alé Niang vient avec son expérience, son background. Qui dit Pape Alé Niang, dit quelqu’un qui a eu à travailler longtemps dans le privé. Il a un parcours qui lui permet d’avoir cette nouvelle touche et qui force le respect », compare Mamadou Diagne. Il souligne que « Pape Alé Niang essaie de marquer son empreinte dans l’audiovisuel public ». Le responsable des supports digitaux de la RTS espère que « son appoint sera différent des autres ».
Mamadou Thior, Cored : « C’est comme ça que la RTS doit se comporter en tout temps »
Cette nouvelle politique de la RTS ne suscite pas l’enthousiasme chez le président du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie (Cored). « Il ne doit pas y avoir du nouveau sur le ciel parce que c’est comme ça que la RTS doit se comporter en tout temps », réagit-il.
Mamadou Thior affirme que c’est au niveau de la télévision où le bât blesse mais la radio (RSI, ndlr) a toujours donné la parole à l’opposition. « Souvent ce qui se passe, c’est que les gens se focalisent sur la télévision mais, l’opposition a toujours accès à la radio. J’ai été responsable de la radio de 2012 à 2016 et je peux vous jurer que quand vous écoutez le journal de la radio Sénégal, il y avait toutes les voies discordantes : l’opposition, les syndicalistes et tous», dira-t-il. A l’en croire, le déclic est intervenu suite à l’éclatement de l’affaire Ousmane Sonko
– Adji Sarr en mars 2021. « C’est peut-être depuis l’affaire Ousmane Sonko en 2021 qu’il y a eu un peu le fait que toute l’opposition n’avait plus accès. Mais depuis la première alternance de Me Abdoulaye Wade, les jeunes reporters qui avaient rejoint la RTS étaient décomplexés ; avaient gagné ce combat-là. Donc il faut relativiser », souligne-t-il.
Le président du Cored affirme que la télévision et la radio n’ont de cesse de faire des efforts pour s’ouvrir davantage à l’opposition. « C’est ces trois, quatre dernières années, qu’on a noté ce blackout en direction de l’opposition mais aussi de toutes les voies discordantes. Même les syndicalistes qui critiquaient le régime de Macky Sall n’avaient pas voix au chapitre. Ce qui n’est pas bien parce que c’est contreproductif », regrettera Mamadou Thior qui invite, en outre, la RTS, la corporation à être à équidistance des chapelles politiques, religieuses, syndicales. « Nous devons couvrir tout le monde en toute responsabilité », a-t-il argué.
Les opinions tranchées du député Abdoulaye Wilane et du journaliste Bachir Fofana
Le député Abdoulaye Wilane joue la carte de la patience. « C’est trop tôt pour apprécier ! Il faut du temps et à l’épreuve des faits et réalités nous aurons à y voir plus clair, sérieusement. Dans ces questions, il faut s’éloigner des émotions et des effets d’annonce», lance l’opposant avant d’ajouter : « J’encourage tous les médias à faire des efforts dans le sens du professionnalisme, du pluralisme, de la crédibilité et de la responsabilité. Notre pays a de gros défis à relever et des réformes sont nécessaires. Pour ma part j’en appelle à la sérénité ».
Tout comme le parlementaire, le journaliste Bachir Fofana ne s’emballe pas. « Je suis étonné que ça puisse faire débat parce qu’un média qui qu’il puisse être, sa vocation est de refléter la pluralité des opinions. C’est vrai que la RTS a longtemps été un organe qui n’a jamais respecté cela. Si aujourd’hui on veut en faire un cheval de bataille, j’applaudis mais, je reste sur ma faim pour deux raisons.
Premièrement, ce n’est qu’un début. J’attends de voir dans la durée si ça va continuer. Et deuxièmement, inviter un journaliste ou un opposant dans une émission qui passe le dimanche, ce n’est pas ça ouvrir la RTS à l’opposition. Ouvrir la RTS à l’opposition c’est couvrir des activités de l’opposition, c’est parler de l’opposition dans le journal de 20 heures. Est-ce qu’aujourd’hui on voit dans le journal de 20h la parole donnée aux opposants. Si c’est ça et ça continue effectivement il faut le saluer. C’est un début. On verra dans la durée ce que cela va donner », dira-t-il.
M. Fofana explique son scepticisme par la posture jadis adoptée par Yakham Mbaye lors de son passage à la tête de l’Astre de Hann. «Je rappelle que Yakham Mbaye, Directeur général de ”Le Soleil” donnait la parole à l’opposition du temps de Macky Sall et les mettait à la Une. Est-ce que ça a continué? Non. Donc c’est dans la durée qu’on va juger. Mais en tout état de cause, c’est ça la norme. Le normal voudrait que n’importe lequel des médias puisse refléter la diversité des opinions », se veut-il prudent.
Bachir Fofana concède toutefois que « ce n’est pas parce que la RTS n’a pas montré des politiques qu’elle ne faisait pas son travail non plus ». « Il va falloir comprendre que le Sénégal va au-delà des hommes politiques. Donc les voir à la télé, c’est bien, mais voir toutes les sensibilités à la télé, c’est ce que moi je prône, ce que je cherche », fait-il savoir.