PARRAINAGE : Comment Me Abdoulaye Tine a gagné la bataille
Pour se défendre des allégations de l’Union Sociale Libérale (Usl), l’Etat du Sénégal avait constitué une «armée» d’avocats. Des ténors, comme ils se font souvent désigner. Me Yérim Thiam, Me Papa Moussa Félix Sow, Me Samba Bitèye, Me Bassirou Ngom, et l’avocat français Me William Bourdon.
Cinq (5) robes noires qui se distinguent par leur popularité. Mais dont les arguments n’ont pas su dynamiter la défense concoctée par les avocats de la partie demanderesse : Maitre Abdoulaye Tine et Maître Adama Fall.
Ces derniers, hormis les moyens tirés des normes communautaires et régionales, ont astucieusement utilisé ce qui s’est passé au Burkina Faso, en juillet 2015. C’était dans l’affaire opposant le parti politique dénommé Congrès pour la Démocratie et le Progrès (Cdp), contre l’Etat du Burkina. Une jurisprudence qui aujourd’hui fait date. Et l’astuce a été dégotée par l’Usl quand l’Etat du Sénégal a soulevé la fin de «non-recevoir». Voulant ainsi nier sa qualité pour agir.
La bataille de la qualité pour agir
En clair, les avocats de l’Etat avaient demandé à la Cour de justice de la Cedeao de déclarer «formellement irrecevable» la requête introduite par le parti de Me Abdoulaye Tine. Celle-ci, d’après les robes noires, serait entachée d’irrégularités. Et ces dernières seraient notamment liées au fait qu’«il n’est mentionné ni le domicile de la requérante, ni les noms et qualité de son représentant légal, ni même la décision du bureau politique autorisant l’action en justice».
Réponse du berger à la bergère. L’Usl, par le biais de ses avocats, saisit la balle au bond. La formation politique de soutenir qu’elle a bel et bien «la qualité pour agir en justice du moment qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le risque d’une violation future confère à un requérant la qualité de victime, chaque fois que les circonstances particulières de l’affaire permettent d’établir un faisceau d’indices concordants en faveur de la réalisation de la violation que la saisine de la Cour a pour objet de prévenir».
Et puisque Me Tine et ses soutiens estimaient que la violation effective des droits de l’homme par la loi sur le parrainage était «imminente», ils ont tout simplement pensé que la qualité pour agir était déjà acquise. Ce que la Cour a d’ailleurs confirmé. Mais les avocats de l’Etat n’ont pas lâché le morceau.
L’incompétence, l’autre exception qui n’a pas marché
Une autre exception est soulevée : l’incompétence. Cette fois-ci, c’est la Cour qui est visée. Dans ses mémoires, la partie défenderesse (Etat) estime que la juridiction communautaire n’est pas compétente pour connaitre du litige que l’Usl a porté devant ses instances. Cela, estime l’Etat, «en raison du caractère non effectif des violations prétendues».
En réponse, la Cour dit avoir toujours considéré que «si, en principe, elle ne devait sanctionner que des violations effectives des droits de l’homme, des violations réelles, avérées et non des violations possibles, potentielles ou éventuelles, elle peut valablement se préoccuper de violation non encore réelles, mais très imminentes». Ce qui recoupe avec la position de la requérante (Usl).
Pour conforter sa position et se déclarer définitivement compétente pour connaitre de ce litige, la Cour rappelle sa décision dans l’affaire Cdp et les autres contre l’Etat du Burkina Faso, en date du 13 juillet 2015. Dans cette décision, la Cour de justice de la Cedeao a affirmé que «si elle devait attendre que des dossiers de candidature soient éventuellement rejetés pour agir, si elle devait attendre l’épuisement des effets d’une transgression pour dire le droit, sa juridiction dans un contexte d’urgence n’aurait aucun sens».
En cause, clarifie la Cour, parce que «les victimes présumés de telles violations se retrouvant alors inexorablement lésés dans la compétition électorale». Et puisque, d’après la Cour, la violation effective des droits de l’homme alléguée par l’Usl était imminente, l’exception d’incompétence soulevée par l’Etat du Sénégal ne pouvait qu’être battue en brèche.
Le procès suit son cours. Et aboutit, mercredi 28 avril, à la décision condamnant l’Etat du Sénégal à supprimer, dans un délai de 6 mois, le système du parrainage jugé attentatoire au droit à une libre participation aux élections. La même décision qui fut prise, en 2015, contre le Burkina Faso.
C’est donc dire qu’au-delà de ce que prévoient les textes, une forte jurisprudence est en train de se construire dans l’espace Cedeao sur les questions relatives aux élections. Cependant, le respect des décisions de la Cour au niveau des Etats concernés reste la grosse équation.