Le ministre de l’Education Nationale Moustapha Guirassy a annoncé la réforme du système éducatif, déclarant dans la foulée, la suppression de l’entrée en sixième. Une décision saluée par l’ancien ministre de l’Education le Pr Kalidou Diallo ; d’autant plus qu’il a été le premier à proposer une telle réforme depuis 2010.
Propos recueillis par Dieynaba TANDIANG
Lii quotidien : L’actuel Ministre de l’Education Nationale a annoncé la réforme du Système éducatif avec la suppression de l’entrée en sixième. On se rend compte que vous aviez fait une proposition similaire, il y a quelques années cela. Comment appréciez-vous cette décision ?
Pr Kalidou Diallo : Je voudrais féliciter le Ministre de l’éducation nationale actuel, mon ami et jeune frère Moustapha Guirassy pour cette annonce qui, certainement est issue d’une décision gouvernementale.
Pour rappel, la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 rend obligatoire la scolarisation de tous les enfants des deux sexes âgés de 6 à 16 ans. L’Etat du Sénégal est obligé de maintenir gratuitement cette tranche d’âge dans le système éducatif, dans les établissements publics. Les parents sont bien entendu libres de choisir le privé.
La loi 2004-37 du 15 décembre 2004 modifie et complète celle de 1991 en précisant que si, pour une raison ou autre, l’enfant ne peut rester dans l’enseignement jusqu’à 16 ans, l’Etat a l’obligation de l’orienter dans la formation professionnelle.
Le processus de mise en œuvre de cette loi devait se déroulait jusqu’à 2010 date limite pour son application. Il se trouve que j’étais ministre de l’éducation nationale du Sénégal de 2008 à 2012, donc en charge de l’application de cette loi.
Partout des lycées et collèges de proximité ont été créés à partir de 2000 et le taux de scolarisation est passé 55 à 90% entre 1995 et 2010. Le concours d’entrée en sixième continuait à bloquer l’écrasante majorité des élèves condamnant la majorité, surtout les filles et les enfants de parents à revenus faibles à l’abandon et au décrochage scolaire. Seuls 38% des élèves de CM2 ont réussi à ce concours en 2000 et le taux restait toujours autour de 60% dans la première décennie du 21e siècle. Les enfants dont les parents avaient des moyens étaient dans le privé laïc ou catholique et, très souvent faisaient l’examen d’entrée en 5e dans le public l’année suivante, pour passer dans le public. L’écrasante majorité des fils de parents démunis, des enfants habitant dans les zones rurales, des élèves issus des milieux défavorisés étaient donc condamnés à l’abandon et à la déscolarisation.
Alors qu’au même moment on est passé de 48 lycées entre 1960 et l’an 2000 à près 400 en 2010 et le nombre de collèges passant de 300 à 1022 durant la même période et le nombre d’enseignant a plus que triplé avec le budget de l’éducation nationale qui passe de 105 milliards en 2000 à 437,9 milliards en 2011.
Dans ces conditions était-il raisonnable de maintenir un concours facteur de blocage d’autant plus que la France l’a supprimé depuis 1959 et le Sénégal fait partie du dernier carré des pays francophones à le faire.
C’est donc pour des raisons d’équité et de justice sociale, pour la démocratisation de l’accès à l’enseignement moyen secondaire et surtout pour permettre d’avoir la parité filles et garçon à ce niveau (car l’objectif était déjà atteint dans le primaire) que j’ai annoncé la suppression de l’entrée en sixième en 2010 après avoir reçu l’aval de Monsieur le Président de la République d’alors. Le Président Abdoulaye Wade. Mais certains parents d’élèves, certains syndicats et l’opinion publique en général n’ont pas compris l’enjeu à l’époque.
Mais nous avons contourné la suppression. En doublant presque, le nombre d’élèves autorisés à passer en classe de 6e, à travers le décret d’autorisation fixant ce nombre (je rappelle qu’auparavant le nombre était subordonné aux places disponibles).
Depuis octobre 2010 le taux de réussite à l’entrée sixième dépassait 80 à 90%.
Les enquêtes menées en 2011 et 2012 ont montré que le taux de redoublement n’a pas du tout augmenté car un enfant qui sait bien lire, écrire et comprendre des notions en mathématiques peut toujours réussir s’il est bien encadré. Il faudra donc faciliter aux nouvelles autorités étatiques et au ministre de l’éducation en particulier la mise en œuvre de cette grande décision.
En termes de performances des apprenants que peut-on attendre d’une telle réforme ?
Les principaux arguments des adversaires de cette réforme majeure qui n’est en fait que l’application des lois d’orientation de 1991 et 2004 d’il y a 34 et 21 ans sont liés à la question du niveau des élèves. Mais du CI au CM2, les élèves sont toujours passés en classe supérieure sur la base de la moyenne de classe ; en quoi alors le passage en classe de sixième comme au Rwanda, sur la même règle peut-il contribuer à baisser le niveau des élèves ?
En classe de 3eme au collège la moyenne de 10/20 permet de passer en classe de seconde même sans le BFEM.
Dans un monde en perpétuel mutations avec le développement de l’intelligence artificielle, quelle sera la pertinence d’une telle réforme ?
Pour l’intelligence artificielle et le numérique, les enfants sont très doués dans ce domaine. On ne parlera pas de baisse de niveau ici car des enfants de moins de 5 ou 6 ans maîtrisent les outils informatiques plus vite que les adultes.
Se rappeler l’expérience « Apprendre à la maison » pendant le COVID avec des cours à distance, la télévision scolaire CANAL 20. Certaines télévisions privées, les échanges par watsapp entre professeurs et élèves, etc. ont montré l’intérêt de la pédagogie numérique dans le système éducatif. À la fin de l’année scolaire, les résultats au baccalauréat étaient meilleurs que ceux de l’année précédente de même que pour la plupart des autres examens et concours.
Le recours au numérique en investissement dans l’équipement des écoles, des élèves et des enseignants s’accompagne bien avec les mutations actuelles. Cela pourrait renforcer les performances des élèves et justifie une réforme encore plus profonde de notre système d’éducation par un usage réfléchi, organisé et systématisé du numérique.




