Alla Sène Gueye, Président de la Fédération des Industries du Sénégal (FNIS), Membre du Conseil de Régulation de l’ARCOP pour le Secteur Privé et Président de la Commission Economie et Finance de la CNES, donne, dans les colonnes de Lii Quotidien, la position du secteur privé sur la renégociation du contrat PPP de production d’eau potable avec une source d’eau de mer entre l’Etat du Sénégal et la Société Saoudienne ACWA POWER. Il a pris l’exemple du Maroc qui achète avec son partenaire privé ADEC le mètre cube d’eau désalinisée à un prix moyen actualisé sur 27 ans inférieur à 4,5 DH marocain (soit 280 Fcfa) alors que le Sénégal qui vient de renégocier le contrat pour la construction de l’usine de dessalement d’eau de mer va s’approvisionner à 390 Fcfa auprès de son partenaire Privé ACWA POWER.
Propos recueillis par Massaër DIA.
Au titre du surcoût de dessalement de 110 F Cfa par m3 entre le Sénégal et le Maroc, M. Gueye souligne : « Un prix de vente de 280 FCFA/m3 d’eau désalinisée au Maroc dans le cadre de la Station de dessalement de Casablanca attribué en 2024 à un partenaire privé ADEC (Al Baidaa Desalination Company) pour un population de 6,7 millions d’habitants contre 390 Fcfa/m3 au Sénégal avec la version contrat révisé Acwa Power en 2025 avec une populations similaire sur le triangle Dakar, Thiès et Mbour.
Un surcoût de dessalement de 110 Fcfa par m3 non optimisé dans le cadre du contrat renégocié en comparaison de Benchmark avec le Royaume du Maroc. Ce surcoût de 110 Fcfa par m3 donne des indications sur les possibilités de JUBBANTI ou d’optimisation des coûts de dessalement qui auraient dû être exploitées mais qui n’ont pas été exploitées.
La SEN EAU a trois tarifs pour les abonnés de l’eau domestique : La Tranche sociale à 202 FCFA TTC par m3 pour les consommations de 0 à 20 m3, la Tranche Pleine à 697,97 Fcfa TTC par m3 pour les consommations de 21 à 40 m3 et Tranche dissuasive de 878,35 Fcfa TTC par m3 pour les consommations au-delà de 40 m3. La tranche sociale de l’eau potable domestique à 186.55 Fcfa Htva le m3 d’eau potable actuellement contre un prix de cession de AKWA POWER de 390 Fcfa HTVA/m3 ; soit 203,45 FCFA à subventionner par m3 pour le contribuable par l’Etat du Sénégal ».
Selon l’économiste, cette subvention pouvait être divisée par 2 en associant le secteur privé national qui est meilleur négociateur que les fonctionnaires de l’Etat en nous accordant le 1/3 minimum du capital comme prévu par la loi 2021 sur les Contrats de PPP.
Possibilités d’optimisation non exploitées dans la renégociation du coût et du prix du service de l’eau de mer potabilisée avec ACWA POWER
Au titre de la différence entre le coût et le prix du service de l’eau d’ACWA POWER, il estime que l’eau est une ressource qui ne se vend pas mais c’est le service de l’eau qui est vendu. Et le service de l’eau représente la somme des coûts dans le cycle de l’eau : l’Extraction ou prélèvement, la Potabilisation, le Stockage, le Transport, la Distribution et l’Épuration eaux usées. Selon lui, ces coûts doivent faire l’objet d’optimisation au niveau de la source de prélèvement d’eau, de la source d’énergie pour le traitement de l’eau et de la taille de la capacité production journalière. « Pour garantir l’optimisation de ces coûts dans le cycle de dessalement de l’eau de mer, la procédure de passation par appel d’offre ouvert est la plus indiquée. C’est cette voie que le Royaume du Maroc choisit systématiquement pour la réalisation en PPP de ses stations de dessalement d’eau de mer comme dans le cas de l’attribution en 2024 de la Station de dessalement d’eau de mer de Casablanca à ADEC (Al Baidaa Desalination Company) par Appel d’offres.
D’ailleurs c’est cette voie que les nouvelles autorités ont choisie dans le cas de l’Attribution des Infrastructures de la SIRN qui étaient attribuées à une société Turque sans appel d’offre et sous la couverture du Secret Défense à une société Turque associée à des professionnels Sénégalais qui mènent des activités dans la réparation navale », dira-t-il.
M. Gueye souligne que contrairement au Maroc, l’Etat du Sénégal a opté pour l’entente directe comme mode de passation du contrat ACWA POWER malgré les dispositions de l’Article 87 du Décret N° 2021 – 1443 du 27 Octobre 2021 : Entente directe, Alinéa d) qui exige comme prérequis le respect des 4 conditions cumulatives suivantes : « (1) Réponse à un besoin impérieux d’intérêt général, (2) Résorption d’un déficit manifeste, (3) Capacité d’appréciation de l’Autorité contractante sur la base des coûts d’investissements d’un projet similaire au Sénégal ou dans l’Espace UEMOA et (4) le Raccourcissement des délais avec la réalisation d’ économies.
En l’absence du respect de ces 4 conditions cumulatives, la procédure de passation qui est la plus appropriée pour évaluer la compétitivité de l’OIP (Offre d’Initiative Privée) d’ACWA POWER aurait été la procédure de droit comme en appel d’offre ouvert ou dérogatoire en appel d’offre restreint en ciblant les sociétés Espagnoles et le leader mondiale dans ce domaine Véolia. Toutes ces deux procédures de passation de contrat sont prévues la même loi PPP de 2021 ».
Au titre de l’optimisation du dimensionnement de la capacité de production journalière de l’usine de dessalement d’Acwa Power, M. Gueye avance : « La deuxième source d’optimisation, c’est le dimensionnement ou l’échelle de capacité de l’Usine de dessalement choisie qui pouvait être optimisé en vue de réaliser des économies d’échelle comme on l’a dit, au Sénégal, on a choisi de démarrer avec 200 000 m3 jour à un coût de 800 millions US$ (soit environ 500 milliards Fcfa), extensible à 400 000 mètres cube jour alors qu’au Maroc, ils commencent avec 548 000 m3 par jour à un coût de 6,5 milliards DH (soit 404,5 milliards Fcfa) et extensible à 822 000 mètres par jour. Le CAPEX par m3 de capacité de dessalement revient dès lors à 2 500 000 Fcfa par m3 pour ACWA POWER Sénégal contre 738 138 Fcfa par m3 pour ADEC Maroc. La meilleure solution d’arbitrage des hautes autorités aurait été de maintenir l’annulation et de reprendre l’appel d’offre comme ça était le cas pour la concession de DakarNav » (Source : ACWA Power signe un contrat de 800 millions de dollars pour une usine de dessalement au Sénégal).
Alla Sène Gueye souligne également que : « pour apprécier réellement ce contrat-là, nous ne pouvons que faire ce benchmark entre deux projets similaires initiés au Maroc et au Sénégal la même année et pour une taille de population similaire. Le Maroc a une grande expérience dans l’irrigation avec l’eau dessalée.
A l’échelle nationale, le Maroc dispose de 16 stations de dessalement d’une capacité totale de 270 millions de m3 par an et entend atteindre 1,7 milliard de m3 par an d’ici 2030. La station de dessalement de Casablanca, attribué à ADEC (Al Baidaa Desalination Company) par appel d’offre en 2024 pour livrer les travaux en 2026, est dimensionnée à 548 000 m3 par Jour, extensible à 822 000 m3 par jour et dont 50 millions de m3 par an de cette production sont destinés à la vente en eau d’irrigation pour les cultures de fruits et légumes à très haute valeur ajoutée.
Dans la même année au Sénégal, pour une population similaire à approvisionner en eau par dessalement, l’Etat du Sénégal a accepté une capacité de 200 000 m3 par jour extensible à 400 000 m3 par jour. Il est établi que la taille permet de réaliser des économies d’échelle et que la taille de 200 000 m3 par jour acceptée par l’Etat du Sénégal est la zone des économies croissantes de la courbe d’échelle et n’est pas optimale par conséquent. Le benchmark du prix de l’eau issue du dessalement donne pour ADEC Maroc un tarif de 280 Fcfa par m3 contre un tarif de 390 Fcfa par m3 pour ACWA POWER Senegal ».
Au titre du choix de la source d’électricité renouvelable compétitive : Poursuivant, il précise : « Là au Sénégal, c’est une centrale solaire en propriété de 150 MW qu’ACWA POWER a choisie alors que le Solaire n’est disponible que 8 heures par jours pour une production devant normalement se dérouler 24 heures sur 24 contrairement à ADEC Maroc qui a opté pour une centrale éolienne de 360 MW d’un coût de 280 milliards Fcfa avec un Fournisseur d’électricité Indépendant IPP (Independant Power Producer) qui produit l’énergie éolienne à 18 Fcfa le Kwh et la vend à ADEC Maroc à 42 Fcfa le Kwh avec une fourniture d’électricité 24 heures sur 24.
Les besoins d’électricité de l’Usine de dessalement ne représentent que 45% de la capacité de production de la centrale éolienne de 360 MW de l’IPP. L’option choisie par ADEC Maroc d’acheter l’EnR au lieu de la produire comme a choisi ACWA POWER a deux avantages : 1) Rester dans son métier de dessalement pour allouer le maximum de son CAPEX son usine de dessalement de 548 000 m3 par jour contrairement à ACWA POWER qui n’a qu’une capacité de 200 000 m3 par jour et 2) Transférer le risque de production d’électricité à un IPP pour un approvisionnement sans intermittence 24 heures sur 24 contre une centrale solaire intermittente pour ACWA POWER ».
AU TITRE DE LA DIVERSIFICATION DES USAGERS POUR FIN DE PÉRÉQUATION, il avance : « Comme vous le savez, l’eau pour l’irrigation des fruits et légumes et l’eau pour l’industrie et les services sont des usages commerciaux et doivent par conséquent coûter plus chère que l’eau domestique. Ces deux usages doivent permettre de faire un travail de péréquation ; ce qui n’est pas le cas au Sénégal avec les maraîchers qui restent branchés sur le réseau de la SEN EAU. Je suis l’expert financier depuis 2018, à travers une de mes sociétés AIG AGROFOOD, pour la mise en place d’un modèle d’équilibre financier en mesure de réaliser la déconnection des maraîchers de la Zone des Niayes sur le réseau SEN EAU. Cela doit être fait car les études sont terminées depuis 2019 et transmises à la SONES ».
Alla Sène Gueye souligne également « Qu’au Maroc, l’eau dessalée pour l’irrigation dans les premières générations d’usines de dessalement comme celle dans la zone d’Agadir est vendue à 315 Fcfa le m3 contre une moyenne de 63 Fcfa par m3 pour des eaux d’irrigation conventionnelles. A la sortie de l’usine, cette eau coûte en fait 656 Fcfa par m3 avec une contribution publique de 40% qui permet de baisser le tarif. A ces prix, L’eau dessalée pour l’irrigation n’était supportable que par des cultures de fruits et légumes à très haute valeur ajoutée comme la tomate cerise et les agrumes. Dans la plaine de Chtouka près d’Agadir, les 800 hectares d’exploitation du Groupe franco-marocain Azura sont irrigués à 100% par de l’eau dessalée. Depuis 2022, cette station de dessalement fournit l’équivalent de 125.000 m3 d’eau par jour pour l’irrigation de 12 000 hectares de primeurs et 150.000 m3 par jour pour l’eau potable destinée à 1,6 million d’habitants de la ville et ses environs. Cette station doit atteindre 400.000 m3 par jour l’année prochaine dont la moitié est destinée à l’irrigation ».
Au titre des engagements du Sénégal pour l’accès universel à l’eau potable, M. Gueye affirme : « Je viens donner la position du secteur privé sur ce qui été signé, d’abord pour dire que l’eau potable est un besoin vital des populations et un engagement pris par l’Etat du Sénégal dans le cadre des OMD matière d’accès à l’eau potable et à un assainissement convenable, et la qualité aussi et la disponibilité du service. Surtout l’OMD 6.1 qui demande aux Etats d’assurer d’ici 2030 l’accès universel et équitable à l’eau potable à un coût abordable à tout le monde, que ce soit les ménages, les écoles, les mosquées, les hôpitaux, les industriels ».
Des défis à relever
« Au Sénégal, le bilan, c’est quoi, l’ANSD nous apprend que 2022, c’est 86,2% des ménages qui ont accès à une source d’eau améliorée, donc améliorée, cela veut dire améliorée avec une grande disparité, 90% en milieu urbain, 76, 5% en milieu rural et que les robinets domestiques, c’est-à-dire ouvrir le robinet à la maison pour avoir accès à l’eau, c’est 67,2%. Maintenant, on a des défis, trois défis à analyser. Les premiers défis, c’est la source qu’on a choisie. On a choisi de désaliniser l’eau à la place de prendre les eaux de sourçage, ou bien de la nappe phréatique qui sont renouvelables, disponibles partout au Sénégal.
La deuxième chose, c’est la distance entre le prélèvement et l’utilisation et la technologie d’osmose inverse alors qu’il existe d’autres technologies à plus petite échelle avec la bauxite pour pouvoir traiter l’eau, qui sont des traitements organiques », souligne M. Alla Sène Gueye.
Suggestions de l’économiste
M. Alla Séne Gueye donne des conseils qui nécessitaient plus d’investissements afin de réduire le coût du m3 d’eau désalinisée comme le Maroc l’a bien réussi. M. Gueye propose plusieurs axes : «D’abord la procédure de droit commun à la place de la procédure dérogatoire d’entente directe. Ensuite l’optimisation du coût énergétique avec une source énergétique compétitive en choisissant l’éolien à la place du solaire.
En optant pour l’éolien comme source d’électricité compétitive 24 heures sur 24 contrairement au solaire 8 heures par jour, le Maroc a fait IPP qui produit à 0,03 US$/kwh (18 Fcfa/kwh) et vent à la société de désalinisation à 0,07 US$/Kwh (42 FCFA/kwh) et dans un second temps. Il y’a aussi l’optimisation de la taille de l’usine dès le démarrage pour maximiser les économies d’échelle comme au Maroc ; la diversification des clients de l’eau de dessalement pour l’horticulture facturable entre 350 et 450 FCFA le m3 comme le Maroc qui alloue 17 à 50% de sa production d’eau désalinisée aux cultures de fruits et légumes à très haute valeur ajoutée en mesure de supporter des tarifs rémunérateur sur l’eau d’irrigation et servir de péréquation aux ventes d’eaux à usage domestique. La déconnection des maraîchers sur le réseau de la SONES est alors d’une importance stratégique majeure ».




