Par Moussa Tine
Président de l’Alliance Démocratique Pencoo
Je n’ai jamais été adepte des mots qui blessent en politique. Je ne sais pas m’y faire. D’ailleurs, ça n’a jamais été ma façon de faire durant les nombreuses années passées exclusivement dans l’opposition. Pour autant, ce n’est pas un délit. Le Premier ministre admet, lui-même, que c’est par cette manière que le Pastef est arrivé au pouvoir. « Fitna mo gnou indi pouvoir », a-t-il dit.
Le problème du Premier ministre, c’est qu’on dit du mal de lui et qu’on parle en mal de lui pendant que l’autorité laisse aller. J’espère profondément qu’il n’y a pas derrière cette demande l’idée qu’on peut aller en prison par la volonté d’un homme, fut-elle celle d’un président de la République. Autrement, ce serait, surtout venant précisément des nouveaux élus, une décadence profonde de l’état de droit ainsi qu’une énorme déception, voire une abjecte trahison au regard de l’histoire récente et tragique. On va en prison pour avoir enfreint la loi, pour aucune autre raison. Et sans le soutien du chef de l’État, le Premier ministre aura toujours la possibilité de porter plainte contre n’importe quelle personne qui lui aurait causé du tort.
D’ailleurs, combien de personnes sont en attente de procès et en détention pour de prétendus contentieux avec non pas l’institution primatoriale, mais avec la personne du Premier ministre. Historiquement, ainsi que pour les esprits modernes, institution ne rime pas avec l’acception « personne ». Cette confusion entretenue entre l’institution et l’acteur qui l’incarne obéit à une logique davantage politicienne que républicaine.
En outre, il nous est commun de considérer qu’un élu accède au pouvoir indubitablement par la volonté de Dieu. Cependant, une fois élu, les attaques contre nos personnes, même investies d’une puissance ou d’un mandat public, ne doivent pas passer pour sacrilèges. Pour cause, l’autorité doit raisonnablement subir les critiques de l’opinion et être exposée aux satires de l’opposition.
Tout compte fait, le Premier ministre ne rate jamais ses adversaires, chaque fois que l’occasion lui est offerte. Pardi ! Je ne pense pas que quelqu’un ait encore osé traiter un contradicteur de FUMIER dans les confrontations publiques. Moustapha Diakhaté se réveille encore à Rebeuss pour le mot « GOUGNAFIER ». Le Premier ministre a traité les opposants de RÉSIDUS. Néanmoins, il se réveille tous les jours chez lui en toute tranquillité. À l’analyse, GOUGNAFIER ET RÉSIDUS sont SYNONYMES. Le Robert définit le résidu comme un reste sans valeur, le déchet ou détritus. Toujours dans le Robert, gougnafier c’est un bon à rien. C’est juste un rapport entre celui qui ne sert à rien et celui qui ne sait rien faire.
Eh oui ! Le paradoxe persiste dans les méandres du régime actuel. Dans les devoirs de sa charge, le président de la République a l’obligation de créer les conditions pour qu’on parle de lui, qu’on en parle en mal ou en bien. Il en est de même du Premier ministre et du gouvernement en général. C’est là tout décrit le rôle et l’utilité de l’opposition dans un régime démocratique. Pour cette raison, la Constitution « reconnait l’opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique ».
En plus, la Constitution (art. 4) « garantit des droits égaux aux partis politiques, y compris ceux qui s’opposent à la politique du gouvernement en place ».
Quant à lui, le Premier ministre détient un pouvoir réel. Il tient son pouvoir non pas d’un texte, mais de la réalité politique. Il a certainement fallu en disposer pour oser faire des observations critiques au chef de l’État, s’attaquer en même temps à l’Assemblée nationale, aux magistrats, à la société civile, à la presse et à l’opposition.
Au détail près, nous sommes exactement dans la même situation qu’en 1962, avec les mêmes éléments de contexte, la même situation institutionnelle, les mêmes dimensions personnelles ainsi que la même charge socio-économique.
En effet, nous avons un président de la République qui a la plénitude des pouvoirs juridiques de gouvernement alors que le Premier ministre, par sa position de patron de la majorité parlementaire, détient la réalité du pouvoir politique. Aucune loi ni aucun budget ne peuvent être votés sans l’assentiment de la majorité parlementaire. Dès lors, les deux personnalités sont obligés de s’entendre. Sinon, bonjour la crise. Le cas échéant, celle-ci sera profonde ; elle produira des effets fatals et catastrophiques.
ÉTAT-PARTI ! ÉTAT-PARTI ! Cette phrase à elle seule résume ce contre quoi toutes les organisations politiques, y compris le Pastef, ont lutté depuis l’aube des indépendances. Il ne reste qu’à espérer que, sur ce point précis, le Premier ministre n’ait pas vraiment traduit sa pensée, tant l’option revendiquée pour un Parti-État remet en cause tous les espoirs de consolidation des acquis démocratiques. Je n’ose pas penser ce qui se serait passé au Sénégal si un de nos anciens chefs d’État avait osé dire la même chose. Cette phrase est complètement aux antipodes des idéaux universels et de la trajectoire politique du Sénégal. Cette phrase ne sera jamais oubliée. S’il n’y a pas de levée de bouclier, c’est certainement parce que plusieurs acteurs comptent encore sur le Premier ministre pour leur ascension politique pendant que d’autres évitent de subir les affres du système numérique de diabolisation de Pastef.
Enfin, le Premier ministre s’amuse plutôt à nous faire peur. Il sait que le Président y réfléchira à deux fois avant de le démettre, en raison de l’indispensable majorité parlementaire qu’il a mise en place tout seul et qu’il contrôle tout seul. C’est la première fois dans notre pays que nous avons un chef de l’État qui n’est pas le patron de la majorité parlementaire. Pour le moment en tout cas !
En outre, le Premier ministre a, en tous les cas, les moyens d’être éligible en 2029. Il lui suffira, avec la majorité de faire voter une modification du Code électoral en agissant sur les articles 29 et 57. Il ne le fera pas maintenant à cause des conséquences que cela pourra avoir sur la situation du maire déchu à Dakar. En effet, ce dernier pourrait éventuellement retrouver son siège puisque son dossier est toujours pendant devant la justice. La majorité actuelle n’envisage alors pas la modification de l’article 29 demandée par l’opposition durant le dialogue avant les locales de 2027. Pourtant le Premier ministre a aussi bien été victime de cette disposition qui l’a empêché d’être candidat en 2024.
Platon a dit : « Si on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique. »
Vous savourez les chants du peuple, mais vous ne les avez pas compris.