La 50ème session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie s’ouvre à Paris dans un monde plus instable que jamais depuis la Seconde Guerre mondiale. Alors que certains régimes imposent la loi du plus fort, bafouant ouvertement le droit international, jamais le besoin de défendre une vision du monde fondée sur le multilatéralisme, la coopération, les libertés publiques, la démocratie et la paix n’a été aussi pressant.
Le président Emmanuel Macron a donné un signal fort en faveur de la Francophonie, à travers ses discours à Ouagadougou, Erevan ou Kinshasa, appelant à une Francophonie jeune, vivante et offensive, et avec l’ouverture de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, véritable manifeste culturel et politique. Ces engagements tracent une ambition claire qu’il faut désormais traduire en actes durables.
Une série de signaux alarmants Or, depuis, en quelques mois, plusieurs alertes graves ont ébranlé les fondations de la Francophonie et font douter de la motivation de la France.
Le premier choc est celui du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de l’Organisation internationale de la Francophonie. Deuxième alerte, l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda, deux piliers du monde francophone, négocié par les États-Unis et le Qatar !! Comment ne pas y voir un effacement diplomatique alarmant ?
S’ajoutent à cela les coupes budgétaires brutales imposées par la France : –75 % pour l’Agence universitaire de la Francophonie, –60 % pour l’Assemblée parlementaire. Un désengagement mal venu et sème le doute chez nos partenaires. Et, enfin, se pose la question toujours irrésolue des visas, qui mine la réputation de la France. Le refus d’entrée, très médiatisé, du Dr Moctar Touré, Président de l’Académie des Sciences du Sénégal et figure du monde scientifique africain, décoré par la République française, en est un symbole tragique. Ce type de décision contredit l’esprit de partage des savoirs que nous affirmons incarner.
Une question brutale : La France a-t-elle tourné le dos à la Francophonie ? Ce triple recul — diplomatique, politique, budgétaire — pose une question simple et brutale : la France a-t-elle réellement renoncé à ce qu’elle a contribué à bâtir ? Nous, signataires de cette tribune, refusons de nous y résoudre.
Car ce qui est en jeu dépasse la langue, l’histoire ou les institutions. C’est le modèle de société que nous défendons : un espace fondé sur l’État de droit, l’égalité, la liberté, le dialogue des cultures.
Dans ce contexte troublé, il convient de saluer le courage de celles et ceux qui, malgré les vents contraires, continuent de défendre la Francophonie avec fidélité aux valeurs qu’elle porte. Le ministre Thani Mohamed Soilihi en est un exemple, refusant de céder à la fatalité budgétaire qui lui est imposée.
Il est encore temps d’inverser la tendance. À condition de le vouloir, et d’agir maintenant, en suivant un plan d’action précis.
Premièrement, renouer avec une véritable vision politique. La France doit assumer ses responsabilités et jouer pleinement son rôle de leader et d’inspirateur. Cela suppose un cap clair, une constance dans l’engagement et des actes concrets forts. Le rapport de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, paru la semaine dernière, en trace les grandes lignes.
La Francophonie doit rapidement redevenir un axe structurant de notre diplomatie, porté par l’État, relayé par les élus, les institutions, les collectivités, mais aussi par la diplomatie parlementaire, qui peut jouer un rôle déterminant pour retisser les liens entre les peuples.
Deuxièmement, redéfinir une nouvelle ambition mobilisatrice. La Francophonie du XXIème siècle ne peut se résumer à un héritage. En plus d’un modèle de société, elle doit devenir une promesse d’avenir pour la jeunesse francophone : apprendre, entreprendre, créer, rêver ou même chanter. Cela suppose une rupture nette avec le passé : sortir d’une vision datée, héritée, pour construire une Francophonie porteuse de nouvelles utopies.
Troisièmement : mettre en place des règles de mobilité claires. Il ne peut y avoir d’espace francophone facteur de développement sans règles claires de mobilités des personnes. Des initiatives en la matière existent, mais restent trop dispersées, peu visibles, et parfois défaites par des pratiques administratives contre-productives. Il est temps de faire de la mobilité un levier stratégique.
Par Bruno Fuchs (président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale), Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marie Bockel et Christian Philip, à l’occasion de la 50e session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.