Par Pr. Moustapha SENE
Département de Mathématiques Appliquées
Université Gaston Berger, Saint-Louis
Au regard des péripéties qui ont emmené au vote de la loi d’amnistie en mars 2024, marquant ainsi, comme un coup de théâtre, la fin de façade des hostilités qui ont secoué notre pays durant la période mars 2021-mars 2024, il était sans doute attendu le traitement qui serait réservé à la loi susnommée, par l’arrivée au pouvoir des principaux bénéficiaires de ses effets.
Nous savons aussi que le vote de cette loi avait suscité beaucoup d’inquiétudes chez les organisations de la société civile, et la communauté universitaire qui avaient vigoureusement dénoncé l’initiative à travers une pétition. Cette alerte était effectivement à la mesure de la gravité de situation chaotique que traversait notre pays durant cette sombre période.
Toutefois, il est important de rester alerte et que cette capacité d’indignation n’obéisse pas à des variables politiques. C’est donc l’avenir qui jugera de la crédibilité historique de cette pétition !
On a pu observer, jusqu’à un moment récent, à travers des déclarations publiques, un engagement fort qui faisait espérer que le devoir envers les victimes avait moralement condamné le parti au pouvoir à l’abrogation totale de l’amnistie, et ceci à effet de faire la lumière sur les évènements survenus entre mars 2021 et mars 2024 sans exception. Hélas, avec le temps, les choses ont bougé partiellement avec une dose de calcul politicien. Sachez le naturel il revient au galop !
Les officines de Pastef ont trouvé leur intérêt dans une loi d’interprétation, autrement dit un moyen pour ne pas abroger la loi d’amnistie tout en donnant l’air de faire le contraire. C’est de la trahison, non seulement à la parole donnée, mais envers les victimes. On aurait pu admettre que la réalité politique pouvait avoir raison sur toute chose sauf la loyauté et le devoir de vérité envers des victimes de crimes, de vols, de casses et d’incendies.
Mais, avec Pastef au pouvoir, on est allé chercher l’antidote à la douleur dans les motivations. La motivation politique pour passer la main sur des faits passibles de qualification criminelles. C’est assez curieux de savoir ce qui sera retenu comme motivation politique et ce qui sera vu comme motivation criminelle. Et les forces de l’ordre investies d’une mission de protection des personnes et des biens, de garantie des libertés et de défense des institutions, qu’elle motivation pour ceux-là ?
La chronologie des faits prévenait déjà du désir de pastef d’indiquer à la justice comment procéder. Après que le député Thierno Alassane Sall ait annoncé avoir légitimement déposé une proposition de loi pour l’abrogation totale de la loi d’amnistie, les politiciens du pouvoir ont tout fait pour empêcher que ce processus soit déclenché. Rappelons que la première tentative a été de déclarer que deux propositions de loi ont été déjà déposées dans ce sens. Le vacarme général provoqué par ce coup d’amateur fini par faire croire que cette piste a été abandonnée aussitôt annoncée. En tout cas on en parle plus!
On a donc proposé l’impensable. Une loi d’interprétation visant à extirper une partie des acteurs des événements de mars 2021 à mars 2024 de la loi. Dit-on les faits passibles de qualification criminelle ou de délit, faites pour des motivations politiques. On ne se dresse pas contre la loi pour des motivations politiques et ne pas conscient être dans l’insurrection.
Dans ces conditions, on convoque la justice pour faire la lumière, ou on convoque le pardon au nom de la paix et de la cohésion sociale, qui seuls peuvent expliquer que de telles choses ne soient pas débattues devant un juge. C’était cela le sens de la loi d’amnistie.
Cette loi d’amnistie a été initiée, on nous avait expliqué, pour tout oublier au nom de la paix et l’apaisement pour partir d’un nouveau souffle après des années de tiraillements et de ralentissement de l’économie. D’ailleurs quelle pertinence d’une paix sans justice !
Il est donc essentiel de ne pas trier les justiciables par affinité ou sensibilité politique. La vocation de la justice est de réunir les citoyens et de consacrer leur égalité devant la loi. Ce serait un coup porté à l’unité nationale et à la séparation des pouvoirs si ce forcing politique de changement de l’essence de la loi d’amnistie venait à être concrétisé par l’assemblée nationale. Le président de la république garant de l’unité nationale et du fonctionnement des institutions est interpellé. Nous pouvons espérer que les hautes autorités judiciaires seront assez réactives pour empêcher que la politique exerce une influence sur les actions et le fonctionnement de la justice et pour restaurer la confiance des citoyens en leur justice.