Estimant que Macky Sall est injustement accusé, l’APR a publié ce jeudi un contre-rapport de la Cour des Comptes. « Au vu des nombreux manquements de forme et de fond du prétendu rapport de la CC, l’APR réitère son ferme rejet de ce document comme nul et de nul effet, et estime particulièrement important, pour la manifestation de la vérité, que l’Assemblée nationale, la Société civile, le FMI et l’ensemble des partenaires bilatéraux et multilatéraux exigent des clarifications sur les conditions dans lesquelles ce document a été produit ».
Selon l’Apr, cette enquête minutieuse devra particulièrement s’intéresser aux phases suivantes : la commande, la désignation des membres de la commission et rapporteurs, la formulation des Termes de référence, la validation du pré rapport, la non observation des principes de confidentialité et du contradictoire, qui sont des règles obligatoires en la matière, et la désactivation suspecte du site de la Cour des Comptes rendant le «rapport» inaccessible au public pendant 48 heures après sa publication. Pour le parti de l’ex président Macky Sall, il y va de l’honorabilité et de la crédibilité de tous : régime sortant, régime actuel, et FMI.
Par Ibrahima DIOP
Les détails du rapport ci-dessous
La dette extérieure L’analyse de la dette extérieure contenue dans le rapport n’apporte pas d’éléments nouveaux, d’autant plus que le dernier rapport sur la dette, réalisé par la CC (mystérieusement disparu de la barre de téléchargement du site de la Cour pendant 48 heures après la publication du prétendu rapport) avait déjà mentionné des écarts. Ces écarts avaient été attribués par la Cour à des dysfonctionnements dans les comptabilités de la Direction de la dette publique, de la Direction de l’Ordonnancement des Dépenses Publiques (DODP) et du Trésorier général. Absence de réserves sur les recettes, les dépenses et les comptes spéciaux du Trésor Le prétendu rapport n’a émis aucune réserve majeure concernant les recettes et les dépenses du budget général, qui sont identiques à celles figurant dans les différentes lois de finances et naturellement donc du rapport du gouvernement. Il en va de même pour les comptes spéciaux du Trésor. Cette situation s’explique par le fait que les recettes, les dépenses et les mouvements des comptes spéciaux ont été comparés aux chiffres contenus dans les lois de règlement des différentes années concernées, déjà certifiées par la Cour des comptes.
Incohérence dans la comparaison des chiffres relatifs aux prêts projets
Curieusement, ce principe de comparaison avec la loi de règlement, pourtant conforme à la méthodologie énoncée par la Cour, n’a pas été appliqué lors de l’analyse d’une partie de la dette extérieure. Les prêts-projets ont été comparés non pas aux chiffres des lois de règlement, mais à ceux des lois de finances initiales, en omettant même les lois de finances rectificatives. Cette (SENEGAL, Gestion 2019 – 2024) 8 approche est pour le moins surprenante même si des écarts mineurs ont été décelés et imputés par la Cour des Comptes par l’absence de système intégré de la gestion de la dette extérieure entre la Direction de l’Ordonnancement et la Direction de la Dette Publique. En effet, annuellement les tirages effectués sur les prêts-projets sont comptabilisés en dépenses en capital sur ressources externes. Il arrive qu’une partie de ces tirages fasse l’objet de report dans la comptabilisation, ce qui est sans impact sur la dette. Cette méthodologie a toujours été utilisée. Le gouvernement a procédé rétroactivement, sur la période 2019-2023, à la comptabilisation dans l’année concernée de l’ensemble des tirages des emprunts-projets pour déterminer un nouveau déficit budgétaire qui n’en est pas un, car théoriquement gonflé par un montant de 1958,6 milliards, soit environ 3 milliards d’euros.
Intégration du financement intérieur privé dans le calcul de la dette publique
En l’absence de griefs pertinents sur les chiffres de la dette publique, le nouveau gouvernement a cherché à y intégrer le financement intérieur privé et ses mécanismes de facilitation, qui ne sont en réalité que des instruments de gestion de la trésorerie de l’État et non des dettes publiques. Pour rappel, la dette publique est constituée de deux composantes : la dette intérieure, consistant en l’émission de titres publics (bons du Trésor et obligations) au sein des marchés financiers régionaux, et la dette extérieure, consistant en des prêts contractés auprès d’organismes bilatéraux et multilatéraux ainsi que des prêts aux conditions du marché (levée de fonds sur les marchés financiers internationaux, etc.). C’est pourquoi il n’a jamais été question d’y intégrer des facilités financières assimilables à des avances ou des découverts bancaires obtenues des banques locales pour l’exécution de projets et programmes, car elles ne constituent pas des émissions de titres publics. De la qualité du rapport du nouveau gouvernement Le rapport, objet des constatations par la CC, a été produit par les services du ministère des Finances de l’actuel régime. Certains chiffres produits ne sont même pas conformes à ceux produits par l’ancien régime et contenus dans les différentes lois de règlement. Si la CC y a décelé des incohérences, il y a lieu de s’interroger sur la qualité du rapport du nouveau gouvernement. Parmi les incohérences notées par la CC dans le rapport du nouveau gouvernement, on peut citer :
- L’encours de la dette de l’administration centrale La CC ne fait aucune mention d’incohérence sur les chiffres contenus dans les lois de règlement concernant la dette de l’administration centrale. Au contraire, sur cet aspect, la Cour corrige plutôt les erreurs contenues dans le rapport du ministère des finances, qui n’a pas pris en compte un montant de 81,29 milliards, contrairement à la loi de règlement.
- B- Les disponibilités bancaires de l’État La CABF ne fournit ni explication ni commentaire sur le gap existant en termes de liquidités bancaires disponibles au 31 décembre 2023. En effet, alors que le gouvernement indique un solde de 173,6 milliards de F CFA, le Trésorier général arrête la somme de 278,47 milliards de F CFA, soit un gap de 104,87 milliards de F CFA ;
Du non-reversement de Dépôts à terme (DAT)
La CABF a évoqué le non-reversement de Dépôts à terme au Trésor public sans indiquer ou préciser où se trouveraient lesdits montants. Or, dans des exercices d’audit précédents, la CC a pu retracer des montants aussi infimes que 800 000 FCFA soit 1219€ (Cf. Rapport portant « Contrôle de la gestion du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid 19 (FORCE COVID), gestions 2020 et 2021 » ;
Deux versions du prétendu rapport circulent
Deux versions du même prétendu rapport circulent dans le pays, avec des différences notoires sur les deux exemplaires sans qu’aucun éclaircissement ne soit officiellement apporté par les auteurs afin de défendre l’intégrité supposée de leur travail. Dans la version dite provisoire ne figure pas les données relatives à la dette bancaire, car la CC avouait n’avoir pas les moyens de tracer les opérations de remboursement. Dans la version dite définitive, les montants subitement (SENEGAL, Gestion 2019 – 2024) 10 apparaissent avec comme désignation « dette bancaire hors cadrage » ou « dette cachée ». Compte tenu des montants en question et des interrogations et commentaires soulevés, la CC devrait communiquer pour expliquer comment elle a remplacé le terme opération de trésorerie par dette bancaire hors cadrage.
Méthodologie de calcul du déficit
La méthodologie de calcul du déficit et de la dette pose de sérieux problèmes de pertinence et d’opportunité, en ce sens que la CABF a ignoré les documents de certification de la Cour des Comptes et les lois de règlement votées. Le prétendu rapport s’est uniquement basé sur le Tableau des opérations financières de l’État (TOFE). En matière d’audit des Finances publiques, les données des lois de règlement doivent être considérées comme définitives parce que consacrées par la loi : l’autorité de la loi. Ceci est d’autant plus pertinent qu’il n’est fait nullement mention, dans le prétendu rapport, de la méthodologie adoptée par la CC pour arriver à ses conclusions sur la base des seules informations obtenues du ministère des Finances.
Absence de signature du prétendu rapport de la CC
Le prétendu rapport de la CC mis à la disposition du public ne porte ni la signature des auteurs de la CABF, encore moins celui de la CC comme contrairement à la pratique. Pourquoi ? Et quelle est la valeur d’un rapport non signé ?
Absence de mention de détournement ou de sanctions
Le prétendu rapport ne mentionne, dans ses recommandations, aucun cas de détournement, d’ouverture d’information judiciaire, de traduction devant la Chambre de discipline financière, ou même de remboursement. Il importe désormais de comprendre et de savoir par quelle alchimie, le ministre de la justice est arrivé à définir des catégories d’infractions et des personnes qui devront répondre devant les juridictions compétentes en l’occurrence, la Haute Cour de Justice et le parquet financier.