Depuis l’élection présidentielle de Mars 2024, le Sénégal fait face à une situation inédite, avec deux Premières Dames au palais de la République. Comment cette situation est-elle gérée au niveau du protocole ? Une question qui taraude les esprits. Les dernières sorties des deux épouses du Président Diomaye font jaser.
Par Dieynaba TANDIANG
Il y a une semaine, la Première Dame du Sénégal, Marie Khone Faye, a effectué une visite à Ndiaganiao (Mbour), notamment le jeudi 27 février. Elle a, notamment profité de l’occasion pour distribuer des denrées alimentaires et des matériels sanitaires destinés à soutenir les populations locales.
A peine quelques jours après, la deuxième Première Dame se rend, à son tour, à la pouponnière de Mbour pour rendre visite aux orphelins. Ces deux visites simultanées des Premières Dames se sont défoulées dans le département de Mbour, où est originaire le Chef de l’Etat. Cependant, si la sortie de la première épouse du Chef de l’Etat n’a suscité aucune curiosité, car s’inscrivant dans le cours normal des choses ; la visite de la seconde épouse a, quant à elle, suscité une vive polémique.
Il faut noter que depuis le 2 avril 2024, date à laquelle le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, le Sénégal fait face à une situation inédite. En effet, c’est la première fois dans l’histoire que le peuple a élu un Président polygame et se retrouve avec deux Premières Dames.
Depuis les premiers mois d’exercice du pouvoir, la première épouse du Président de la République a été au premier plan en tant que Première Dame, pendant que la seconde, Absa Faye, profitait tranquillement de sa première grossesse.
Ainsi, cette sortie de la deuxième Première dame soulève un certain nombre de questions. Veut-elle rattraper le temps perdu, loin des projecteurs ? Les deux coépouses se livrent-elles à une rivalité ?
Quoi qu’il en soit, les finances du pays qui sont au plus mal, d’après le rapport de la Cour des Comptes risque d’être éprouvées. Avec quel budget financent-elles leur activités caritatives? Ont-elles mis en place une fondation à l’instar de leurs prédécesseurs ? Si tel est le cas, le régime actuel serait en contradiction avec les principes qu’il a incarné quand ils étaient dans l’opposition.
En effet, ils étaient les premiers à critiquer l’ancienne Première Dame Marième Faye Sall. Et pourtant, selon des témoignages, cette dernière était au chevet des démunies même si la plupart de ses actions étaient en fait en toute discrétion. En effet, un Infirmier Major à la retraite à l’hôpital Le Dantec, nous a confié que cette Mme Faye Sall venait incognito à l’unité de sénologie pour prendre en charge des femmes malades du cancer. « Elle laissait un budget pour la prise en charge entière des malades qui n’avaient pas les moyens de payer leur prise en charge médicale », témoigne-t-il.
Les épouses de Bassirou Diomaye Faye vont-elles s’inscrire dans cette dynamique ? En tout cas leurs prédécesseurs n’ont pas dérogé à la règle.
Viviane Wade
Ce fut le cas de Viviane Wade, épouse de l’ancien Président Abdoulaye Wade. Elle a, à son époque, multiplié les actions en faveur des filles défavorisées mais aussi en faveur de la santé de la mère et de l’enfant. On se rappelle de l’érection de l’hôpital de Ninéfécha.
Elisabeth Diouf, épouse du deuxième président du Sénégal Abdou Diouf, s’est engagée dans un vaste programme d’aides aux couches les plus défavorisées, ainsi que Colette Senghor. Ces deux femmes étaient complètement décalées de la sphère politique. Elles ne se mêlaient jamais des problèmes ou de la gestion politique de leur époux. Contrairement à Marième Faye Sall qui, disaient certaines langues indiscrètes, avait un droit de regard sur les choix politiques de son mari de Président.
Du statut des Première Dame
Dans le décret 2014-853 du 9 juillet 2014 portant répartition des services de l’Etat, il n’y a aucune référence par rapport à la Première dame. Des services de la Présidence de la République, la primature… aucune institution ne mentionne les fonds et attributions de la première dame. Et pourtant les premières dames n’évoluent pas dans un cadre juridique défini.
« Il n’y a pas de statut pour la Première dame. C’est la coutume qui l’a consacrée. Dans tous les pays du monde, les épouses des chefs d’Etat créent des fondations dont la vocation est d’intervenir dans le social », souligne d’emblée l’ancien Premier Ministre Souleymane Ndéné Ndiaye.
Abondant dans le même sens, Docteur El Hadj Oumar Diop, enseignant à la faculté de Droit à l’UCAD ajoute : «Rien n’est prévu pour le statut de la Première dame. Il y a une coutume qui fait qu’elle a un statut dans nos sociétés. Pour éviter qu’elle ne s’ennuie, on lui donne une fondation à travers laquelle elle fera du social. Objectivement, il n’y a rien dans les textes ».
L’argument du vide juridique statutaire de la première dame est partagé par Babacar Gaye, le porte-parole du Parti démocratique sénégalais. « À ma connaissance, il n’existe aucun texte constitutionnel, législatif ou réglementaire qui accorde un statut particulier aux fondations et autres associations créées par les épouses des chefs d’Etat du Sénégal » Il ajoute : « Si ce ne sont des dispositions législatives et réglementaires communes aux organisations non gouvernementales qui régissent leur statut juridique, leur organisation et fonctionnement, leurs droits et obligations ainsi que leur mode de fonctionnement ».
Cette situation confuse a obligé le régime du Président Abdou Diouf à agir «en 1995 en clarifiant les notions d’associations non gouvernementales et fondations à cause de l’amalgame de tout ce qui a été fait sur cette forme d’organisation citoyenne».
Cependant, souligne Babacar Gaye, «en leur qualité d’associations reconnues d’utilité publique, les associations peuvent recevoir des subventions, des dons et legs des personnes physiques ou morales, publiques ou privées. C’est ainsi que les sociétés nationales et les établissements publics peuvent accorder une subvention aux fondations. Rien n’empêche au Président de la République d’apporter un concours financier à la fondation de la Première dame sur les fonds secrets ou fonds spéciaux appelés fonds politiques. Cela procède de son pouvoir discrétionnaire». Il n’est pas nécessaire de légiférer, ajoutera Dr El Hadj Oumar Diop, car cela installerait la confusion. Et de poursuivre : « Dire que la Première dame a un statut, c’est ouvrir des écarts. Car dans l’imaginaire collectif, il y a des dérives incontrôlées».
(Sources : seneplus)