LANCEURS D’ALERTE : Un couteau à double tranchant
Au Sénégal, depuis quelques temps, la notion de lanceurs d’alerte fait débat dans l’opinion publique. Si d’aucuns pensent que le lanceur d’alerte agit pour le bien commun, l’intérêt public ou l’intérêt général, pour d’autres c’est un métier à risque où celui qui dénonce doit être motivé par des preuves irréfutables pour ne pas créer des doutes dans la tête des gens. Pour d’autres par contre, cela peut être un couteau à double tranchant. Autant elle peut être facteur de changement, autant elle peut faire l’objet d’une manipulation malintentionnée.
Par Idrissa NIASSY
Depuis que le Président Diomaye Faye s’est engagé à adapter la législation sur la liberté d’expression afin de protéger les lanceurs d’alerte, le sujet alimente de plus en plus le débat dans l’opinion publique. Le lanceur d’alerte est toute personne, groupe ou institution qui adresse un signal d’alarme en espérant enclencher un processus de régulation ou de mobilisation collective, après avoir eu connaissance d’un danger, d’un risque ou d’un scandale avéré.
Cependant ces individus n’ont aucune couverture juridique pour leur protection au Sénégal. En effet, le pays ne dispose aussi d’aucune agence gouvernementale pour accueillir et enquêter sur les divulgations et les plaintes pour représailles, même si l’Agence nationale d’anticorruption, l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) acceptent les rapports sur les cas de fraude et de corruption, mais n’offrent pas de conseils juridiques, de soutien ou de protection aux lanceurs d’alerte. Plus important encore, le Sénégal manque de mesures qui protègent les lanceurs d’alerte, alors qu’il s’est engagé à les introduire en ratifiant la Convention des Nations Unies.
En outre, la loi sénégalaise ne reconnaît pas les employés ou les citoyens qui dénoncent les crimes ou les dangers en tant que lanceurs d’alerte. En somme, il n’y a pas de mécanismes juridiques pour protéger les lanceurs d’alerte contre les représailles et les poursuites. D’où la nécessité, pour le Chef de l’Etat nouvellement élu, de créer une loi protéger ces citoyens.
Le rôle crucial des lanceurs d’alerte
Les lanceurs d’alerte jouent un rôle crucial en exposant les cas de corruption, de blanchiment d’argent, de fraude, de mauvaise gestion et d’autres actes répréhensibles qui menacent la santé publique, les marchés financiers, la sécurité, l’intégrité financière, les droits de l’homme, l’environnement et l’Etat de droit au Sénégal. Ils peuvent être une personne physique qui révèle ou signale dans le contexte de sa relation de travail, dans le secteur public ou privé de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou de faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement ; la santé publique ou environnemental ; les abus de pouvoir ; les erreurs judiciaires ; l’usage illégal de fonds publics ; les graves erreurs de gestion ; les conflits d’intérêts ou dissimulation des preuves afférentes; ou la sécurité publique pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Ces citoyens prennent souvent un haut risque personnel ; puisqu’ils peuvent être rejetés, poursuivis, boycottés, arrêtés, menacés ou même être victimes et être discriminés de différentes manières.
Ainsi, le terme « lanceur d’alerte » qui a été inventé dans les années 1990 par des sociologues (Francis Chateau raynaud et Didier Torny), a ensuite été popularisé au début des années 2000 et vise explicitement à être séparé des notions de dénonciateur (sincère) et de délateur (intéressé) pour éviter de faire dans la vengeance, comme cela se passe d’ailleurs avec ou presque tout nouveau régime.
Recentré le débat pour mieux comprendre le sens
Pour Alassane Seck, Secrétaire exécutif de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (Lsdh), le débat doit être recentré afin que l’on puisse parler uniquement de défenseurs des droits humains qui est plus large pour mieux lister le profil des lanceurs d’alerte. « Parce que, on ne les connaît pas. Ça peut être n’importe qui. On pensait souvent à l’administration, des gens qui peuvent dénoncer des manquements dans l’administration. On attend de voir. Mais, il faut que cela soit un profil clairement défini qu’on puisse savoir qui est qui », a-t-il fait savoir. C’est pourquoi, il défend mordicus que le lanceur d’alerte est dans la famille des défenseurs des droits humains. Depuis quelques année, les « droit de l’hommistes » sont dans une phase de préparation d’une activité qui devrait recentrer le projet du Président de la République qui demande à la mise en place d’une loi pouvant protéger les lanceurs d’alerte pour qu’ils puissent ouvrir une conception plus large qui est « défenseur des droits humains » dans laquelle définition, ils pourront intégrer les lanceurs d’alerte qui sont entre autres, des défenseurs des droits humains dans le sens de la bonne gouvernance.
«Le projet est en cours depuis trois à quatre années bien avant l’arrivée du nouveau régime. Nous pensons que nous devons mettre en avant le principe ou l’appellation droits humains, militants des droits humains, dans laquelle famille on peut intégrer les lanceurs d’alerte », a-t-il révélé. « Le lanceur d’alerte, dans le premier sens, c’est quelqu’un qui voit des anomalies et qui alerte l’État. Donc, on peut imaginer que le lanceur d’alerte fait partie de la famille des défenseurs des droits de l’hommes ou de la bonne gouvernance », affirme M. Seck. Il appelle par ailleurs, à ce que la loi qui doit être rédigée par le ministre de la Justice soit beaucoup plus large, beaucoup plus ouverte et plus précise pour donner place aux lanceurs d’alerte.
L’État appelé à être plus responsable avec les dénonciations
Selon le Secrétaire exécutif de la Lsdh, l’État doit être plus responsable concernant les dénonciations des lanceurs d’alerte. Car, on ne peut pas agir sur la base de dénonciation sans preuve. Si on envoie des dénonciations qui ne reposent pas sur des choses réelles, ces délations doivent être motivées par des preuves irréfutables, dit-il. Pour lui, avec l’avènement de ce nouveau régime, c’est de bonne guerre d’avoir ces travailleurs surtout avec l’avènement des réseaux sociaux pour mieux défendre son projet. « Parfois, les gens se lèvent pour prendre leur vengeance. Maintenant c’est à l’enquêteur d’apprécier avec beaucoup d’intelligence, sans tomber dans la précipitation. Ce qu’on attend de ceux qui sont chargés de faire des investigations, c’est d’être beaucoup plus rigoureux dans leur façon de faire», a-t-il indiqué. Car, les lanceurs d’alerte ont besoin d’un système protégé de communication et de transmission d’informations. Une communauté d’avocats, de militants, d’Ong agissant comme bouclier contre de potentielles représailles et menaces, doit pouvoir les aider avant, pendant et après leurs révélations.
« Leur droit à la liberté d’expression doit être inscrit dans la nouvelle loi qui est en cours de rédaction pour mieux les protéger », a-t-il conclu.
Le lanceur d’alerte ne doit pas faire de la dénonciation calomnieuse
Selon Me Amadou Aly Kane, avocat à la Cour, le lanceur d’alerte ne doit pas faire de la dénonciation calomnieuse. Il doit disséquer les choses pour ne pas faire du mal à autrui. Le problème qu’il y a, dit-il, c’est qu’« il faut qu’une autorité qui pourrait être destinataire de ces alertes ; comme le ministère de la Bonne Gouvernance, qui pourrait être chargé de recevoir les dénonciations », a-t-il fait savoir.
Pour cela, l’avocat demande aux lanceurs d’alerte d’éviter de se baser sur la presse pour lancer une alerte. « Il faut formaliser le mécanisme, lui donner corps. Car, il n’y a aucune loi qui les protège», dit-il, avant d’ajouter : « mais, il faut, qu’au delà de la loi, une institution ou mettre en place un organe qui peut être ou aura pour fonction d’accueillir les alertes et les relayer à qui de droit, tout en évitant des dénonciations qui, à la limite, pourraient conduire les lanceurs d’alerte à la poursuite ».
Selon Me Amadou Aly Kane, après avoir pris connaissance des faits, les autorités doivent enquêter et remédier aux actes illicites allégués, sans exception fondée sur les motifs présumés ou la «bonne foi » de la personne qui a divulgué l’information. Au niveau du Sénégal, pour que le travail soit bien mené, l’État se doit de disposer d’un cadre normatif, institutionnel et judiciaire pour protéger les personnes qui, dans le cadre de leurs relations de travail, font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général et ainsi, appeler à étendre la protection accordée aux services de sécurité nationale et de renseignement et à adopter « un instrument juridique contraignant, consacré à la protection des donneurs d’alerte sur la base des dispositions internationales et communautaires ratifiées par le Sénégal.