La légitimité du consensus qui est ressorti du dialogue national ne souffre d’aucune contestation, selon le juriste Ibrahima Ndiaye. Il invite le Conseil constitutionnel « à assouplir ses positions, arrondir les angles du droit pour pouvoir aller à la rencontre de la volonté des participants qui représentent le peuple et qui ont agi en toute responsabilité compte tenu de la situation actuelle ».
Par Ousmane THIANE
Tous les regards sont de nouveau tournés vers le Conseil constitutionnel. Conformément à l’Article 92 de la Constitution, les 7 Sages seront saisis par le Chef de l‘Etat, Macky Sall pour recueillir leur avis sur les conclusions et recommandations du dialogue national de deux jours qu’il a initié. Au sortir de ces concertations, boycottées par 17 des 19 candidats validés pour la présidentielle de 2024 et une frange de la Société civile, deux propositions ont été retenues. Les participants préconisent l’organisation du premier tour du scrutin le 2 juin 2024 et le Président Macky Sall dont le mandat se termine le 2 avril, d’assurer « la transition » jusqu’à l’installation de son successeur conformément à l’article 36 -2 de la Constitution.
Pour le juriste Ibrahima Ndiaye, la décision du Conseil constitutionnel ne devrait pas aller en contre sens de la volonté exprimée par les parties prenantes au dialogue en ce sens que le « consensus » obtenu revêt « un caractère fort ». « Dans les lois en général, surtout celles électorales, on dit toujours que le consensus a un caractère fort et évite même d’aller au vote qui peut découvrir des positions antagonistes pour la prise de décision. Cela signifie que les lois peuvent prévoir qu’au moment où on légifère, si la situation actuelle est beaucoup plus traduisible par le sentiment que les participants à un consensus expriment, alors le résultat de leur accord doit être appliqué. C’est pourquoi en matière de politique, le consensus est d’abord ce qui est recherché », explique-t-il dans un entretien téléphonique accordé à Lii Quotidien. De l’avis de notre interlocuteur, « le consensus peut arrondir la rigueur de la loi parce qu’il y a des lois qui sont très fortes et la dureté de la loi n’est pas toujours synonyme de solution à une situation juridique qui se pose ».
« Les 7 Sages n’ont pas plus de poids sociologique que ceux qui se sont rassemblés à Diamniadio »
Ibrahima Ndiaye estime que « le Conseil constitutionnel doit suivre les propositions du dialogue ». Il souligne que le Président de la République est le seul, avec un décret, à pouvoir convoquer le corps électoral. Et selon lui, sa décision de convier toutes les forces vives de la Nation au dialogue national donne plus de crédibilité au consensus qui en découle. « Le président de la République avait la possibilité de fixer seul la date de l’élection. Mais, il s’en est ouvert à des parties prenantes constituées au-delà des politiciens, d’autres personnes de la société, ce qui rend beaucoup plus légitime le consensus. Et c’est dans ce sens-là que le Conseil constitutionnel devrait entériner cela parce que ce n’est pas contraire à la loi. Le Conseil avait dit dans les meilleurs délais », appuie-t-il.
Toutefois, le consultant se veut prudent. « Le Conseil constitutionnel est le juge de dernier ressort. Si le conseil suit la volonté populaire, effectivement il peut suivre la date du 2 juin. Mais s’il reste inflexible par rapport à ce qu’il avait dégagé comme intervalle de temps, dans ce cas, il peut toujours camper sur sa décision première », s’empresse-t-il de préciser tout en mettant en garde les 7 Sages. « Mais il faut qu’on se dise aussi que le Conseil constitutionnel est constitué de sept personnes qui n’ont pas plus de poids sociologique que tous ceux qui se sont rassemblés au niveau de Diamniadio représentant les tranches de populations. Cela veut dire que le Conseil constitutionnel devrait pouvoir faire preuve de modestie. Quand le droit est trop fort, il peut écraser la légitimité. Ils sont 7 personnes ; ils ne sont pas plus sénégalais que les gens ; ils ne sont pas plus en mesure de jauger le niveau de gravité de la situation. Donc essayer de rendre plus rigide leur position de droit risque d’écraser la légitimité qui résulte de ce que la population ressent », a-t-il poursuivi.
« Si le Conseil constitutionnel a omis de faire un travail de fond qui lui revenait… »
Par ailleurs, Ibrahima Ndiaye soutient que le fait d’organiser les élections avant le 2 avril ou après n’augmente ou ne diminue en rien les chances d’être élus des candidats qui sont déjà validés. « Ce qui serait un danger, c’est de rebattre les cartes et de disqualifier quelqu’un qui a déjà été validé », relève-t-il. Il invite ainsi le Conseil constitutionnel « à assouplir ses positions, arrondir les angles du droit pour pouvoir aller à la rencontre de la volonté de ces gens-là (les participants au dialogue, ndlr) qui représentent le peuple et qui ont agi en toute responsabilité compte tenu de la situation actuelle». « On ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude. Si le Conseil constitutionnel a omis de faire un travail de fond qui lui revenait, c’est-à-dire contrôler de manière assez approfondie et très méticuleuse la situation de chaque candidature au point de laisser passer des gens qui ne devaient pas passer ; au point de bloquer des gens qui devaient passer, là, la faute n’est pas au candidat, elle est au conseil constitutionnel. Quand maintenant une personne, fut-il un intellectuel, se rend compte qu’elle a commis une erreur, l’attitude la plus sage c’est véritablement de se rendre dans une modestie à accepter son erreur. La meilleure règle de droit c’est celle qui épouse la morale. Et on ne voudrait pas traiter deux personnes censées être sur le même pied de manière discriminatoire», explique-t-il.
« Inclure et non pas fermer la porte à des gens qui potentiellement devaient avoir le droit de participer à l’élection »
Le juriste a aussi insisté sur le cas des candidats recalés. Ainsi, pour une élection inclusive, il estime qu’il faudrait revenir sur les dossiers des candidats considérés comme spoliés. « Ceux-là qui devaient être des candidats et qui mallheureusement pour une erreur ou un dysfonctionnement, ont eu la malchance d’avoir été recalés, si toutefois on se rend compte qu’en réalité si tout était fait normalement ils devraient être des candidats, ils doivent être candidats. C’est ça le terme inclusif, inclure et non pas fermer la porte à des gens qui potentiellement devaient avoir le droit de participer à cette élection », a-t-il plaidé.